Dans un environnement incertain, complexe et changeant (VUCA) il semblerait logique d’agir avec précaution et méthode. C’est en particulier ce que l’on pourrait attendre de Dirigeants bombardés de décisions à prendre, dans des délais très courts, et avec de forts impacts.
Si l’on analyse plus spécifiquement le processus décisionnel tel qu’il est enseigné dans les écoles de management, on pourrait le définir en 6 étapes clés :
- identification du sujet à traiter : quel est le problème ?
- analyse des ressources disponibles : Budget ? Temps ? Moyens humains…
- priorisation du sujet et des moyens associés au regard des autres sujets de l’entreprise, à court, moyen, long terme (balance décisionnelle)
- caractérisation de la décision optimale pour répondre au sujet (moyens, temps, priorité…) : Je fais quoi ?
- mise en œuvre opérationnelle de la solution retenue : comment ?
- évaluation des résultats obtenus : indicateur de performance de l’action engagée
Connaissez-vous un seul dirigeant qui applique cette méthodologie ?
Personnellement pour en avoir beaucoup côtoyé, jamais un seul ne m’a semblé mettre en œuvre cette méthode. Pourquoi ?
La première réponse nous vient des sciences humaines. Contrairement à la rationalité prônée par certains économistes (cf. la théorie des choix rationnels), les sociologues nous enseignent que les êtres humains ont une rationalité limitée, et ne sont ni prévisibles, ni constants !
Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord le Dirigeant – comme ses homologues humains- ne dispose pas de toutes les informations nécessaires à la compréhension de la situation sur laquelle il doit trancher. Ensuite, il ne dispose pas non plus de toutes les compétences nécessaires pour trancher seul. Or dans un environnement (o)pressant, où le Dirigeant se doit de savoir, et de prendre les « bonnes » décisions… il va plutôt s’en référer à ce qu’il pressent comme étant la meilleure solution. Son expérience, son intuition seront sollicitées.
Ensuite, le Dirigeant est peu enclin à identifier et à analyser ce qui n’a pas fonctionné dans les décisions déjà prises. Non pas qu’il ne soit pas capable de se remettre en cause, mais parce que qu’il pense agir en toute rationalité. Il se croit rationnel alors qu’il n’est « que » raisonnables ! Tout ceci à cause de nos biais cognitifs.
Ce que nous apprend l’économie comportementale, c’est que nous sommes enclins à faire des erreurs de jugements.
Par exemple « La vente a échoué, c’est à cause du COVID ». Ce biais cognitif (biais d’autocomplaisance) vise à s’attribuer la responsabilité de sujets qui ont réussi et à renvoyer à des causes externes ceux qui ont échoué !
Vous vous souvenez du projet qui devient de plus en plus bancal et sur lequel on continue pourtant d’investir ? oui, c’est le biais d’escalade de l’engagement. Ce que Paul WASLAWICK traduit par « on a toujours tendance à faire plus de ce qui ne marche pas » : CQFD.
Il existe environ 200 biais cognitifs, avec lesquels nous jouons régulièrement.
Enfin, le Dirigeant plus que tout autre doit gérer ses émotions et son énergie.
La première émotion en cause dans un processus décisionnel est la peur, sous la forme d’une aversion à la perte.
Par exemple un de mes clients commande régulièrement des éléments nécessaires à sa production au dernier moment et en petites quantités, ce qui lui revient plus cher que de commander un volume important par anticipation. Rationnellement (financièrement) sa décision ne tient pas la route, mais émotionnellement elle est plus confortable. En agissant ainsi, il sait qu’il va disposer du stock juste nécessaire, donc ne pas avoir de pièces inutilisées, donc dans sa logique erronée ne pas perdre d’argent. Ce sentiment est plus rassurant que de disposer d’un stock qui potentiellement ne serait pas utilisé, même si cela semble peu probable et plus onéreux.
De même que : ne pas régler le problème coûte moins d’énergie que de s’y atteler. La procrastination devient plus confortable que de passer plusieurs heures sur un sujet complexe.
Par exemple, focusser plusieurs heures sur notre boite mails fatigue moins émotionnellement et physiquement que de réfléchir plusieurs heures sur les orientations stratégiques de la société pour les 3 années à venir. Le temps passé sera le même mais l’effort investi sera moindre, donc en apparence plus confortable.
La satisfaction sera grande d’avoir vidé sa boite mail et d’avoir bien rempli sa journée.
Mais pour quelle efficacité ? La distinction entre ce qui mérite attention et ce qui est plus accessoire est parfois difficile pour le dirigeant, car le temps est son baromètre.
« Je n’ai pas le temps » signifie souvent « je n’ai pas envie de mobiliser mon énergie sur un sujet ardu et potentiellement dangereux ».
Pour conclure la décision du Dirigeant souvent lourde de conséquence, revêt bien souvent de l’intuition, voire de la pensée magique. Une pensée magique c’est par exemple penser que parce que le sujet a été traité il est résolu. Comme si spontanément l’objet de préoccupation était dissout et ne réapparaîtra plus !
Vous vous souvenez ce choix de CRM dans l’urgence qui avait déjà tant mobilisé les équipes… « On s’avait que ce n’était pas la décision optimale, mais il fallait bien avancer ! »
Oui, mais : l’outil n’est pas le bon et il pénalise les équipes. Envisager de perdre du temps pour pouvoir en gagner, est ce envisageable pour un dirigeant ?
Ce serait mentir que d’affirmer qu’il existe des solutions parfaites à ces sujets multiples et complexes, cependant des appuis existent. En tant que Dirigeant, confronter ses idées -voire ses préoccupations- avec des personnes de confiance, avec des tiers neutres et compétents, véritables sparring partner, engagés aux côtés du Dirigeant… permet de rompre l’isolement, de confronter ses certitudes, et surtout d’envisager d’autres champs du possible.
Article rédigé par Régine Danet, Sparring Partner Praesta France Nouvelle Aquitaine